"la réconciliation du conseil et de la vente : quel pourrait être demain le fait générateur de la rémunération ?" 2nde partie

A l ’heure actuelle, un double problème se pose
Ce double problème vient de la rémunération des CGPI :
- En premier lieu, le conseil ne peut se résumer au seul conseil en investissement. Ce qui est un problème en soi dans la mesure où le Conseil en Organisation Patrimoniale n’est pas rémunéré en tant que tel ou très peu,
- En second lieu, le conseil en investissement patrimonial n’est rémunéré que lorsqu’il y a vente ultérieure d’une solution « produits ».
On constate donc très clairement la difficulté qu’ont les CGPI à valoriser leur travail.
Dans un cadre idéal, il faudrait renverser le système, c’est-à-dire non pas être payé une fois la production réalisée mais avant, au même titre que le « family officer ». On ferait appel au CGPI pour ses qualités bien avant de savoir quelles seront les solutions qu’il pourra proposer. Le CGPI qui se compare souvent à un médecin pourrait faire le parallèle avec le médecin chinois : celui qu’on va voir, non pas pour être guéri, mais celui qu’on va voir quand on est en bonne santé et dont la mission est de vous permettre d’y rester !
C’est avant tout son rôle de conseil qui serait valorisé, qu’il s’applique à un investissement patrimonial ou à une réorganisation importerait peu. C’est sa capacité à prendre en charge la problématique globale d’un client qui serait déterminante.
On voit bien ici cependant qu’il est malaisé d’imaginer ce changement tant que la rémunération principale des professionnels provient des compagnies et assets-managers.
Les compagnies ne prendront pas le risque de soutenir financièrement leurs partenaires sans vente certaine, sauf à pouvoir davantage les maîtriser. Quels seraient (seront) alors les critères retenus ? On pourrait se rapprocher d’une notion d’agents liés que certains pourraient voir avec bienveillance, quand d’autres considéreraient que c’est la mort annoncée du Conseil en Gestion de Patrimoine Indépendant…
Une chose est certaine, la vente d’un produit sera de plus en plus le fruit d’un conseil global, et la souscription, le résultat d’une décision d’achat d’un client, autant qu’un simple acte de vente du professionnel – qu’on ne banalise pas loin de là ! -. Notre réflexion a donc toute sa place dans cette période de changements règlementaires.
Comment concilier les faits et la rémunération ? …
Il faudrait renforcer l’approche où la valorisation de la décision d’achat l’emporte sur la valeur donnée à l’acte de vente lui-même. Les choses sont subtiles c’est vrai, car les deux sont intimement liées.
Cependant, si la pondération du temps passé entre l’acte de conseil et l’acte de vente était comparée à la rémunération associée à chacune de ces deux missions, on observerait des répartitions qui ne seraient pas loin d’être diamétralement opposées. Certains oseraient même dire que c’est l’activité la plus consommatrice de valeur ajoutée qui est la moins rémunérée et l’autre qui génère – peut-être – une rémunération excessive. Le législateur n’est-il pas empreint de telles réflexions lorsqu’il évoque la notion de « rémunération juste »?
Pour notre part, une chose est certaine, nous considérons que l’homme s’est dévalorisé face au produit.
La situation est paradoxale au sens où cette réalité suit la « courbe de soutien » des compagnies et autres assets. Plus leur présence est forte, plus l’homme se retranche derrière un produit. Faut-il en conclure que pour se valoriser l’homme (le professionnel) doit s’émanciper de ces acteurs ? Probablement pas, d’ailleurs l’idée apparaît brutale lorsqu’on la lit (également quand on l’écrit !). On ne peut cependant occulter l’idée que le professionnel du patrimoine, en tant qu’homme, que confident, est au centre du dispositif. C’est (et ce sera) impératif s’il veut conserver ce qui fait l’avantage comparatif indéniable du Conseil en Gestion de Patrimoine Indépendant. Il ne peut donc se résumer au seul rôle de distributeur pourtant recherché très légitimement par les compagnies et autres plates formes.
…Faire du conseil un produit !
Si on arrive à vendre l’idée que le client doit prendre une décision d’achat, qu’il a même un devoir d’achat au regard de l’intérêt et de l’adéquation des réflexions à sa problématique, lui- même consentira à ce que les frais attachés à un produit correspondent au moins pour partie à un conseil réalisé en amont. Il faudrait alors le packager en ce sens. Cela compensera, le cas échéant, une éventuelle baisse des rétrocessions dans la mesure où on complètera idéalement la causalité de la rémunération. C’est une étape, peut-être la première avant d’arriver plus distinctement à détacher la rémunération de la phase de conseil et celle née d’une souscription, mais avançons pas à pas. L’idée n’est pas tant de soutenir le développement des honoraires plus que de créer les conditions nécessaires à ce que le client comprenne la valeur du professionnel, en tant qu’homme de confiance, au-delà du produit. Ce qui facilitera tout à la fois son intervention pour une opération de souscription et rendra possible la mise en place d’une facturation en dehors de toute opération d’intermédiation. Aujourd’hui, les deux dimensions : homme/produit ou conseil/vente sont intrinsèquement liées, à ce point, qu’elles se confondent…
En toute hypothèse : si la collecte devient plus difficile et que le conseil devait en faciliter la conclusion (et a minima dans un monde concurrentiel fidéliser ses clients), les compagnies auraient tout intérêt à soutenir cette part de l’activité des professionnels. A tout le moins, de l’intégrer dans leurs propres réflexions pour éviter d’entretenir des politiques qui parfois éloignent les (certains) professionnels de leur avenir. Avenir qui reste à construire. Avenir qui organisera plus clairement le marché entre deux typologies d’intervenants (ou d’actions) : indépendants/non indépendants; conseilleurs/vendeurs …
On devrait, à terme, innover dans la relation marchande, entre le professionnel du conseil en gestion de patrimoine indépendant et l’épargnant, acceptant le principe que le conseil et la vente forment deux axes distincts, valorisables, qui se complètent sans se confondre, dans l’intérêt des deux parties.
En cas de transparence, cette approche aurait du sens car elle faciliterait également le maintien du niveau de rémunération des professionnels.
Inverser le processus de rémunération et modifier la causalité de la rémunération : un schéma possible ?
Ces réflexions, bien que différentes de celles menées jusqu’alors, pourraient aboutir à des solutions dont la règlementation s’est fait l’écho. L’AMF a rencontré de nombreux acteurs et, sa position pourrait conditionner la perception de rétrocessions à un reversement au client final. C’est un accord entre le client et le conseiller, au travers d’un mandat entre les deux, qui définirait ensuite la part que le client accorde à son conseiller. La rétrocession devient honoraire.
C’est ce qui se passe en Suisse, en Angleterre et qui est évoqué par certains assets en France… La relation entre le professionnel et son client prévaut sur le produit. Mais elle existe à raison de la souscription d’un produit.
La règlementation envisage la proposition d’un produit comme la conséquence d’un conseil ; le versement d’une rémunération sous forme d’honoraires devient donc logique dans ce scénario. Légitimer ensuite le montant, le niveau de la rémunération supposera, il faut en avoir conscience, un conseil plus global et des services élargis.
En effet, dans ce cadre de transparence le montant de la rémunération devra être justifié…et accepté par le client.
Nous relèverons alors ici pour certains un paradoxe et pour d’autres une esquisse de solution raisonnable et raisonnée.
Le paradoxe serait de n’avoir plus aucun frais attachés à la souscription du contrat, en tout cas donnant lieu au paiement de ce qui est appelé aujourd’hui « commissions». Le « tout » devenant par un maquillage juridique « honoraires » au sens où la compagnie paierait pour le compte du client. Cela serait excessif sur un point : la commercialisation du contrat suppose une rémunération qui relève naturellement de la nature juridique de commission puisque consécutive à un acte commercial. Mais le principe est là…
D’autres cependant, trouveraient dans l’absence de commissions une situation logique, prenant pour base de leur raisonnement l’existence de contrats à frais « 0 ». Prétextant implicitement que la rémunération à obtenir par le professionnel doit trouver son origine dans d’autres prestations apportées aux clients (on trouve une déclinaison un peu différente avec le familiy-officer qui ne perçoit pas nécessairement de rétrocessions quand le contrat comporte pourtant des frais).
Avec cette approche, une chose est certaine : le risque de conflit d’intérêts latent ou réel est jugulé…
Certaines initiatives attestent que des transferts de frais pourraient être opérés des fonds proposés par les gérants (qui seraient moins chargés) vers les contrats d’assurance (qui le seraient plus). Le sujet que nous développons auprès de vous devient alors d’autant plus sensible !
Il me semble plus pertinent dans une situation où le client est au centre du dispositif et que le professionnel prend sa place en tant que conseiller, qu’il assure un suivi de façon habituelle et n’assume un rôle de vendeur qu’à titre ponctuel de privilégier ce système de transferts. Il serait en phase avec la réalité.
Cependant, des transferts de frais de fonds vers les contrats d’assurance ne règlent pas le problème de la transparence ni de la relation commerciale avec le client. Il est même de nature à l’aggraver dans la mesure où la vente des frais au client se pose avec plus d’acuité !
Le transfert des frais attachés à un contrat à des frais acceptés par un client compte tenu de sa relation globale à un professionnel mandaté me semble une solution plus adaptée sur la durée. Ce sera peut-être la deuxième étape ?
Les contraintes à ne pas négliger dans l ’intérêt de tous
Les compagnies ne pourront apporter des services supplémentaires qui occasionneraient une majoration des frais pour le client. La pratique actuelle des professionnels en matière de frais nous incline à penser l’inverse. C’est donc bien la mise en valeur des services du professionnel lui-même, de l’humain qui pourront rendre possible un tel scénario.
Ce d’autant qu’il faudrait définir très précisément jusqu’où une compagnie peut s’engager dans cette voie. La règlementation va d’ailleurs se faire plus stricte sur toutes les dépenses qu’elles réalisent au profit de ses distributeurs si elles devaient être de nature à influencer leurs conseils ultérieurs.
L’ACP insiste sur l’idée que le conseil doit rester objectif, que les conseillers ne doivent pas être placés en situation structurelle de conflits d’intérêts vis-à-vis des clients par le biais de politiques commerciales ou de modalités de rémunération.
Avec cette contrainte, dans l’absolu, la rémunération devrait précéder la souscription d’un produit. Au moment par contre d’une éventuelle souscription, rien n’empêcherait en accord avec le client, qu’une partie vienne en substitution de la rémunération déjà versée aux professionnels. Système proche de nos voisins suisses et anglais comme vu supra. Celui où la relation entre le professionnel et le client prévaut.
Notre réflexion diffère de ces exemples européens au sens où elle met au centre du dispositif le professionnel mandaté par son client avec lequel il a un contrat en qualité de conseil, rémunéré à ce titre (donc avant la souscription du produit). Non pas par idéologie mais parce que la suite la plus logique de tous ces changements pourrait aboutir à ce scénario. Tout cela avec un regard évidemment pragmatique qui ne néglige pas la difficulté actuelle des professionnels à obtenir une rémunération de leurs clients.
Cependant avec des règles évolutives, les lignes bougeront et le regard de la clientele également…
Le professionnel pourrait être amené à présenter, étayer, argumenter, illustrer, justifier, toujours en cette qualité de conseil, l’intérêt de la souscription de tel ou tel produit. Il devra mettre en place différents niveaux de sécurisation, déceler des incohérences, mettre en place des étapes incontournables de suivi, assurer la traçabilité des informations justifiant de la preuve de la délivrance d’un conseil adapté et l’archivage des documents etc.
Les frais de souscription pourraient alors être partiellement remboursés au client compte tenu de la rémunération établie entre le professionnel et son client au travers d’un mandat précisant l’étendue des services auxquels un client est en droit de s’attendre de la part de son interlocuteur.
On peut citer quelques avantages à ce dispositif :
- Ne plus jouer sur la notion d’indépendance à partir du produit qui sera de plus en plus difficile au regard des dimensions règlementaires mais créer les conditions d’une vraie indépendance basée sur le conseil (qui le permettrait grâce à son modèle rémunératoire notamment).
- Valoriser le service, l’humain, le temps consacré par le professionnel à son client.
- La compagnie trouve ici une raison légitime à la rémunération d’un conseil : la proposition du CGP de tels fonds, dans tel contrat auprès de telle compagnie. On ne légitime pas les commissions nées d’une vente d’un produit par un professionnel. On légitime le choix du produit par le client qui prend une décision éclairée grâce au professionnel et au travail mené en amont. Ce choix étant le point d’aboutissement de la phase de conseil.
Cette évolution aboutirait alors à la création d’un mandat de service patrimonial où on ne vous résumerait pas à un rôle de financier, de vendeur. Le client saurait qu’en toutes circonstances, peu importe sa problématique patrimoniale, vous pourriez l’accompagner. Les conditions pour y arriver ayant été réglées en ce sens en amont.
Ce n’est pas un changement évident dans la mesure où les rémunérations obtenues à ce jour vous poussent à penser que seule la finance compte.
Si le client ne sait pas toujours ce à quoi il pourrait accéder, le législateur croit le savoir mais en commettant des erreurs qui pourront vous être préjudiciables, alors prenez les choses en mains et anticipez !!!
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